Economie Sociale

Coopératives, Mutuelles, Associations, Fondations : Histoire, Statistiques, Gouvernance, Prospective...
Le Blog de l'Economie Sociale sans complexes !

17 janvier 2006

Economie Publique et Economie Sociale

Le CIRIEC est une institution blanchie sous le harnais, puisque sa création remonte à 1947. A cette date, son fondateur Edgar Milhaud n'est plus un jeune homme ; en effet, il est né en 1873, ce qui lui fait 74 ans. Et à cet âge, il enseigne toujours l'économie politique à l'Université de Genève, fonction qu'il occupe depuis 45 ans.

Ce Centre International de Recherche et d'Information sur l'Economie Collective naît donc de la volonté opiniâtre d'un intellectuel militant qui, sur ses vieux jours, entend parachever son œuvre par le lancement d'une structure de recherche et d'action d'un type original, conçue par lui et destinée à poursuivre son combat après sa mort.

Edgar Milhaud disparaîtra en 1964. Dans sa jeunesse, il aura fréquenté Jean Jaurès et de nombreux autres penseurs socialistes. Dès 1902, ce Parisien s'installe à Genève, qu'il ne quittera plus. Il y fondera une revue, les Annales de l'Economie Collective, et fera plusieurs missions pour le Bureau International du Travail.

Toute sa vie, Edgar Milhaud s'efforcera de penser et de favoriser un "Tiers Secteur" qui ne participe ni de l'économie de profit ni du marxisme. Il sera cependant parfois obligé, comme le CIRIEC plus tard, de se rapprocher du second pour bénéficier de son aile protectrice. Proche des idées coopératives, il s'en écartera néanmoins, préférant inciter la Coopération à se fondre dans une alliance plus large ; on peut le considérer comme le précurseur de nos actuelles régies municipales et autres sociétés d'économie mixte.

Le CIRIEC se veut à la fois une structure de recherche universitaire, un carrefour où dirigeants se retrouvent pour échanger leurs expériences et un groupe de pression – on dirait aujourd'hui un "think tank", expression que la commission de terminologie nous conseille de traduire par "laboratoire d'idées". Présent dans de nombreux pays, il aura traversé depuis bientôt soixante ans, en fonction des circonstances et des soutiens qu'il aura su mobiliser, une succession de périodes fastes et de vaches maigres. En France, la section a longtemps vécu grâce à l'appui des grands monopoles publics, EDF et SNCF notamment. En Allemagne, le CIRIEC s'est naturellement trouvé à l'aise dans le système bismarckien, refondé par Ludwig Ehrardt, comme un poisson dans l'eau du Rhin.

La section française avait adapté le terme "Economie Collective", qui sonnait trop comme "collectiviste", en "Economie Publique, Sociale et Coopérative", ce qui m'avait amené à la croiser à diverses reprises.

Je me souviens d'avoir, au cours des années passées, manifesté quelque scepticisme, et gardé quelque distance, vis à vis de ce CIRIEC en qui je voyais une vénérable organisation aux arcanes touffus, où l'économie sociale côtoyait l'économie publique à l'image de l'alouette dans le pâté de cheval. Qu'avait donc à gagner notre économie sociale à ce voisinage dominant, voire étouffant, des grands monopoles publics, des systèmes paritaires et des régies municipales ? Quel rôle pouvait-elle y jouer, sinon celui de sympathique faire valoir ?

Elle avait en tous cas beaucoup à perdre, pensais-je, tant en autonomie qu'en lisibilité. D'autant que l'attitude volontiers hégémonique et condescendante des représentants des grands mammouths publics n'avait rien pour apaiser mes appréhensions, et que, depuis la disparition de la FNCC, ils n'avaient plus aucun interlocuteur d'économie sociale de leur rang.

Mais j'ai changé d'avis depuis. Les circonstances ont changé, beaucoup changé. L'économie publique est partout brocardée, vilipendée, mise à l'encan ; après le trop d'honneur, voici venu le temps du trop d'indignité. Il y a place désormais, face au "tout libéral", pour une construction où économie sociale et économie publique se respectent et s'équilibrent tout en affirmant leurs spécificités, leurs différences et leur complémentarité. Mieux : l'économie sociale peut aider l'économie publique à se renouveler, à rafraîchir son image, à se départir de ses lourdeurs et de ses archaïsmes.

L'horizon est ouvert sur le plan intellectuel ; il l'est également sur le plan des hommes et des organisations. Compétitivité et mondialisation obligent, la SNCF ou l'EDF ne disposent plus de leurs budgets discrétionnaires d'antan. Elles les destinent plutôt à leur privatisation…

Plus profondément, je crois que le moment est venu d'une certaine "refondation". La voie est libre : une Economie Publique moderne, efficace et sociale est à inventer. Inventons-là !

L'action que je mène avec l'ADDES depuis plus de vingt ans pour que soit reconnue la nécessité de "compter" l'Économie Sociale afin qu'à son tour celle-ci puisse "compter" dans la société commence enfin à porter ses fruits. Je crois donc opportun de saisir ce moment pour renforcer nos relations avec le CIRIEC et contribuer à donner à celui-ci un nouveau dynamisme.

Il y a un précédent : le CIRIEC avait servi au Canada de lieu de rencontre naturel de tous les économistes de la coopération ; puis il s'y est naturellement diversifié vers les associations et les entreprises d'intérêt général. En Espagne, l'histoire est comparable. Avec notamment nos amis des CIRIEC belges et canadiens (en fait, wallons et québécois) et tous les autres qui nous rejoindront, nous avons de belles pages de réflexion et d'action à écrire dans les années à venir.

Gardons nous d'opposer Economie Publique et Economie Sociale ; certes, ce n'est pas la même chose, et il n'est pas question de les confondre ; mais aujourd'hui leurs intérêts convergent, et il faut savoir en tirer parti.

09 janvier 2006

En avant pour 2006 !

L'Économie Sociale est à réinventer chaque année. Rien n'est acquis de manière irréversible. Des projets annoncés, confirmés, voire largement engagés peuvent tourner court. Des interlocuteurs, dûment sensibilisés et qui ont fini par se montrer d'ardents avocats de l'Economie Sociale, partent et sont remplacés par d'autres, moins bien disposés ou franchement indifférents. Même à l'intérieur de nos rangs, l'attrition fait son œuvre régulière et implacable.

Au moment du rituel des vœux du Nouvel An, il n'est donc pas inutile de s'interroger sur notre bilan, nos réussites et nos échecs, nos espoirs et nos appréhensions. Il faut une évaluation sans complaisance pour se donner des objectifs raisonnables. Après, mais après seulement, viennent les vœux.

Or force est de constater que, pour ce qui est de sa reconnaissance par les Pouvoirs Publics, l'Economie Sociale ne se porte pas au mieux. Les associations, assimilées aux activités sociales et caritatives, sont de plus en plus souvent coupées des coopératives et mutuelles, que ce soit à Paris ou à Bruxelles. L'unité, l'originalité, la cohésion de l'Economie Sociale sont de moins en moins reconnues par les autorités. Sont-elles d'ailleurs assez défendues, illustrées, mises en avant par nos mouvements ?

En Septembre dernier, le Premier Ministre annonçait au détour d'un discours la fin de la Délégation (cf. notre message du 26/09). Devant l'émoi qui s'ensuivit le Gouvernement fit machine arrière et, affirmant qu'il ne s'agissait que d'un malentendu, fit savoir que la Délégation continuerait à vivre, au sein du ministère Borloo. Celui-ci, intervenant peu après lors de la Journée des Sociétaires du Crédit Coopératif, se voulut on ne peut plus rassurant, allant jusqu'à qualifier la Délégation de "Mon bébé chéri". Mais y avait-il réfléchi plus avant ? Dans ses propos il apparaissait qu'il n'avait en vue que les "services à la personne", et d'ailleurs il ne parla que d'économie solidaire (13 fois au compteur, pas une de moins, contre zéro pour "économie sociale").

Que pourrait être une Délégation, coupée de la "vie associative" restée au ministère Lamour, dans un environnement tout entier tourné vers la création d'emplois dans les cités sensibles ? Qui s'y intéressera aux coopératives et aux mutuelles, et à quel titre ?

Du côté de Bruxelles, l'inquiétude est de mise après le retrait du projet de directive sur le statut européen des mutuelles, alors que les groupes d'assurance privés disposent déjà d'une telle possibilité. Avec leurs moyens, on peut penser que les mutuelles sauront faire valoir leurs droits à une concurrence équitable ; mais c'est l'idée d'économie sociale qui n'en sortira pas indemne.

Heureusement, le monde ne se réduit pas aux instances politiques. Il suffit de regarder autour de nous, et partout nous voyons à l'œuvre le dynamisme, la créativité, l'inventivité et la réactivité des entreprises d'Economie Sociale. Alors qu'il me soit permis de formuler un seul vœu pour 2006 : que les politiques eux aussi s'en aperçoivent, en prennent la mesure, et qu'ils jouent pleinement leur rôle de "facilitateur", sans se complaire aux intrigues d'alcôve, à la rétention d'information, à toutes les petites mesquineries dont ils sont si coutumiers et friands. Qu'ils cessent de s'efforcer sans relâche à construire et à renforcer leurs micro-féodalités, à utiliser et à instrumenter plutôt que servir… bref, qu'ils soient dignes de ce que nous sommes en droit d'attendre d'eux.

Et puisque nous en sommes aux souhaits, pourquoi oublier notre paroisse ? Voici bien des années maintenant que nous affirmons que, sans visibilité statistique avérée, l'Economie Sociale sera toujours sacrifiée lors des arbitrages qui la concernent. En 2006, nous poursuivrons nos efforts pour qu'enfin existe un Compte Satellite de l'Economie Sociale ; nous nous aiderons, alors, que le Ciel nous aide !

05 janvier 2006

Découvrir la Valeur Ajoutée

Une réforme majeure du financement de la protection sociale vient d'être annoncée.

Nous en connaîtrons l'ampleur et le calendrier le moment venu ; s'il se confirme qu'une partie des cotisations sociales patronales doit désormais être assise sur la valeur ajoutée et non plus sur la seule masse salariale, les répercussions sur l'économie sociale, du moins sur sa composante associative non marchande, risquent de ne pas passer inaperçues.

Nous ne discuterons pas ici du bien fondé de l'option envisagée, pas plus que de sa concurrente la TVA sociale ; le bilan comparé des avantages attendus et des inconvénients redoutés de l'une et de l'autre, ainsi que du statu quo, est devenu un pont aux ânes de la maîtrise de sciences économiques. On peut cependant regretter que la Mutualité ne soit pas davantage intervenue pour mettre les priorités du débat à l'endroit : avant de savoir comment financer, n'est-il pas auparavant nécessaire de s'entendre sur ce qu'on veut financer ? quel doit être le bon niveau de protection sociale obligatoire, et qu'est ce qui peut, qu'est ce qui doit, relever de la solidarité volontaire ?

Revenons à nos associations, gros employeurs s'il en est, donc gros contributeurs à l'URSSAF. Quand il leur faudra cotiser au prorata de leur valeur ajoutée, beaucoup se trouveront en terrain inconnu. Elles n'ont jamais calculé leur valeur ajoutée ! Elles ne savent même pas vraiment ce que c'est. D'obligation théorique, le plan comptable deviendra une contrainte tangible. Car ce n'est pas parce qu'on ne distribue pas de profits que l'on ne réalise pas d'excédents, que ceux-ci ne font pas partie de la valeur ajoutée, et… qu'ils ne deviendront pas assujettis aux cotisations sociales ! comme de vulgaires dividendes…

Voilà qui promet bien des révolutions dans les mentalités. A moins que cela ne s'accompagne d'un retournement copernicien complet, les subventions n'étant plus enregistrées que comme ventes de services… avec la complicité de la LOLF ?

Quoi qu'il en soit, il ne pourra être que salutaire à maintes associations de découvrir qu'elles aussi, comme jadis Monsieur Jourdain, font de la valeur ajoutée.