Economie Sociale

Coopératives, Mutuelles, Associations, Fondations : Histoire, Statistiques, Gouvernance, Prospective...
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08 septembre 2006

Vive la GASP ?

Vous ne connaissez pas la GASP ? Mais voyons, c'est la "Gouvernance Associative Solidaire et Participative", objet de tant d'attentions et de projets de colloques qu'il serait vain d'en vouloir dresser une liste exhaustive. Cet engouement durera un an, peut-être deux ou trois… le temps de débiter à satiété quelques torrents de fadaises et de trissotinades, jusqu'à ce que survienne une autre mode tout aussi vaine qui en prendra le relais.

Omniprésente dans les bandes dessinées de mon enfance, GASP !, exclamation de surprise ou de douleur, était sans doute reprise sans adaptation de la version originale américaine. Même mimétisme raccourci et ravageur chez les tenants de la gouvernance associative : comme on disserte doctement de gouvernance dans l'entreprise cotée, faisons de même pour l'association. Oui mais qu'est ce que l'association ? Question bien oiseuse pour Mesdames et Messieurs les experts de la gouvernance ! Alors, on mélange tout : l'engagement militant, la convivialité, le lien social et les spécificités méritoires, la responsabilité des administrateurs, la représentation des usagers, les rapports entre bénévoles et salariés…

Le quadrilatère de Desroche, déjà bien réducteur, s'en trouve ramené à son seul centre de gravité. Car s'il se justifie de penser des principes communs de gouvernance pour toutes les sociétés cotées, au prétexte que chacun peut à tout moment vendre de l'une pour acheter de l'autre, il n'en est pas de même des associations au sein desquelles coexistent une multitude de problématiques parfaitement étrangères l'une à l'autre. Autant appliquer la même recette pour faire un pâté de lièvre, un flan au caramel et des œufs en meurette. Bon appétit !

De ce brouet verbeux, de cette conglutination grumeleuse, on voit ressortir en bonne place le solidaire et le participatif, tels des noyaux oubliés dans le clafoutis. On s'en fera des délices. Gasp, ma chère, quelle GASP !

Revenons à quelques repères simples, pour reconstruire du solide après cette nécessaire canonnade. Si le mot "gouvernance" est souvent utilisé à tort et à travers, il ne saurait être confondu avec "management", encore moins avec "fonctionnement". Il est apparu historiquement pour répondre à un besoin très clair : celui de l'actionnaire qui souhaite disposer de critères précis pour s'assurer que son argent sera bien employé au développement de l'entreprise et non détourné à leur seul profit par des dirigeants trop cupides tentés de danser Enron.

Ceci peut-il se transposer à l'association ? si oui, comment, et est-ce pertinent ?

L'association générique, la vraie, celle qui n'existe que par ou pour ses adhérents, qui s'engagent pour la faire vivre, qui y investissent leur temps et leur ego, n'est pas concernée par la gouvernance. Elle a des règles de fonctionnement, une éthique, tout cela défini par ses statuts, son règlement intérieur ou par seule tradition tacite, et ces règles sont plus ou moins efficaces, plus ou moins adaptées, plus ou moins bien appliquées.

Mais lorsque l'association dépend de financements extérieurs, lorsque le donateur ou le subventionneur prennent le pas sur l'adhérent, alors oui, des principes de bonne gouvernance peuvent s'avérer nécessaires. Il faut justifier les subventions, séduire mécènes et donateurs. Mais ceux-ci ne sont pas assimilables à des actionnaires. Ils ne sont pas interchangeables. Il n'y a pas de Bourse, pas de titres, encore moins de liquidité desdits titres. Chaque catégorie opère dans un marché fermé. Chacune requiert ses propres exigences de gouvernance.

Cujus sponsor, ejus censor.

Grosso modo, en faisant fi des nuances, il y a quatre grands types de ressources non marchandes dont peut bénéficier une association ou plus généralement une ISBL :
1.Les dons des particuliers ;
2.Les legs ;
3.Le mécénat des entreprises ;
4.Les subventions publiques.
N'en sont pas, en revanche, ni les cotisations, ni les concours publics ayant la forme de conventions ; ceux-là ont une nature quasi-marchande, et l'on attend de la LOLF qu'elle y mette assez d'ordre pour qu'enfin nous puissions savoir qui fait quoi.

Derrière ces quatre catégories de ressources se profilent six catégories de "demandeurs potentiels" d'indicateurs de gouvernance :
1.Les particuliers, qui veulent s'assurer que leurs libéralités seront bien utilisées conformément aux engagements pris, et ne finiront pas dans une nouvelle tire à l'ARC ;
2.Les éventuels héritiers, et leurs ayant droits, chez qui peut germer toute sorte de tentation chicanière ;
3.Les entreprises, très soucieuses de soigner leur image à travers la cause qu'elles aident, et, également et plus récemment, intéressées à y impliquer leur personnel ;
4.Le fisc, naturellement désireux de vérifier si les réductions d'impôt accordées aux uns et aux autres ne recèlent pas d'abus ;
5.Les élus, engagés par la décentralisation dans une course sans fin entre plus de responsabilités et plus de comptes à rendre, plus de garanties à prendre ;
6.Et enfin le contribuable, qui est aussi électeur, et qui peut avoir envie de savoir à qui ses élus ont distribué son argent.

Voici, brossés à grands traits, les référentiels dans lesquels doivent se penser les différents critères de gouvernance des associations faisant appel à des financements extérieurs. A condition que celles-ci n'oeuvrent que dans le "double non" – non marchand, non lucratif – car si tel n'est pas le cas, si elles se rapprochent trop des entreprises de marché, nous entrons dans une zone grise où, je pense, il ne faut pas se tromper d'enjeu.

Il y a longtemps que je défends l'idée que les associations marchandes doivent se transformer en coopératives, si elles veulent conserver et pérenniser des pratiques relevant de l'Économie Sociale. Sinon, qu'elles se trouvent des actionnaires, qu'elles se fassent sociétés "ordinaires" de capitaux. Le débat sur la gouvernance apporte à cette thèse des arguments supplémentaires.

Quand il y a activité marchande, apparaît un nouveau partenaire, tout puissant celui-là : le client. Le client se moque a priori de la gouvernance ; il regarde d'abord la qualité du service et son prix. Face au pouvoir exorbitant du client, je n'ai jamais cru que les principes généreux et éthérés de l'association puissent faire contrepoids. C'est un non sens. Pour produire, il faut du capital. Et derrière le capital, il faut un propriétaire responsable. Imaginer le contraire, imaginer qu'une entreprise sans tête puisse être viable, imaginer de surcroît qu'un telle improbable tératostructure fasse l'objet de réflexions sur sa gouvernance, ce n'est même pas de la fiction, c'est de la déraison.

L'exemple des grands monopsones publics du sanitaire et du social n'en est justement pas un. La structure associative y est le plus souvent confinée dans un rôle de médiateur entre le personnel et le client unique qui est en même temps autorité de tutelle. Elle assure aussi une fonction d'ordre symbolique, de conservateur de l'Histoire de l'institution quand il y en a une, et de gardien d'un "projet associatif" supposé marquer une différence d'avec le public et le lucratif. Elle a l'épaisseur d'une tête d'épingle, et sa gouvernance n'est pas un enjeu.

Non ; dans le cas d'une association marchande, si l'on veut parler de gouvernance, il faut d'abord savoir qui est le marchand, qui en détient le capital, qui est responsable, qui est sanctionné en cas d'échec. Si ce n'est personne, ce n'est pas de la bonne gouvernance, ce n'est même pas de la gouvernance du tout, c'est n'importe quoi, c'est de l'économie bananière, et nul ne voudra y mettre un liard. Sauf bien entendu si ce liard ne lui appartient pas et qu'il n'en est pas comptable.

La gouvernance est un juge impitoyable. Elle exige en préalable de savoir qui prend le risque, qui décide, qui doit répondre de quoi. L'association marchande veut-elle une gouvernance qui inspire confiance ? Elle a le choix entre deux voies.

Il y a la gouvernance capitaliste. On en connaît bien les qualités comme les défauts ; elle force l'efficacité en toutes choses, mais privilégie la rentabilité de court terme, donne au financier un primat sur l'économie de production et ne prend en compte les externalités, quelle qu'en soit la nature, que si la loi l'y contraint.

Et il y a la gouvernance coopérative, horizon naturel pour toute association mettant en avant des principes de solidarité ou de participation. Tout comme la chenille est appelée à devenir papillon, l'association marchande qui veut rester dans l'Économie Sociale est naturellement appelée à se muer en coopérative. Mais contrairement au papillon dont l'existence est bien courte, le statut coopératif lui apportera, outre les avantages de la bonne gouvernance, ceux de la gestion prudente de long terme et de l'enracinement dans le territoire.

Entre le verbiage de la GASP et la solidité coopérative, il faudra choisir !