Economie Sociale

Coopératives, Mutuelles, Associations, Fondations : Histoire, Statistiques, Gouvernance, Prospective...
Le Blog de l'Economie Sociale sans complexes !

08 mai 2006

The Mad Hatter : Chapelier fou, Chapelier fantôme ?

La lecture d'un article sur "les associations et la révolution française" (dans le numéro 299 de la RECMA, daté de Février 2006) m'a inspiré cette note d'humeur qui pose plus de questions qu'elle n'exprime de certitudes. Je fais donc appel à la curiosité et à l'érudition de mes lecteurs pour alimenter un débat qui, je pense, mérite d'être poursuivi.

L'article en lui-même ne mérite pas un long commentaire. Son résumé m'avait fait bondir ; la révolution n'y était-elle pas en effet décrite comme ayant, certes, interdit les associations, mais c'était pour mieux les "régénérer". Régénérer ? Le mot employé par les Khmers Rouges pour "justifier" leurs massacres ! De quoi faire froid dans le dos. Nous exterminons en masse hommes, femmes, enfants et vieillards, mais c'est pour mieux régénérer le peuple dans sa pureté… Glacial ! Etablir semblable balance à propos des associations me semblait pour le moins oiseux.

En fait, le texte n'est pas oiseux, il n'est que besogneux. Il commence par rappeler ce que nous savons tous, à savoir que dès 1791, l'association est purement et simplement interdite par les lois d'Allarde et Le Chapelier, pour se fourvoyer ensuite dans un gros contresens, en exaltant comme favorables à l'esprit associatif les efforts déployés par les révolutionnaires pour faire naître un "lien social" nouveau, notamment à l'occasion des fêtes organisées en lieu et place des cérémonies religieuses désormais prohibées, et ce souvent avec le soutien zélé de prêtres jureurs. Un bon point, qui viendrait en quelque sorte compenser un premier mouvement regrettable.

Or ces deux considérants ne se balancent en rien. A l'époque, le mot "association" était un terme générique utilisé pour décrire tout groupement professionnel, et il conservera ce sens pendant plusieurs décennies, pour ne se différencier qu'ensuite, donnant naissance aux syndicats ouvriers, aux ordres professionnels, aux patronages, aux coopératives et aux mutuelles. En revanche, les clubs, amicales et autres groupements de personnes fondés sur l'adhésion à des idées communes, mais non sur des intérêts matériels communs, étaient appelés "sociétés". Or la révolution a été conduite par des sociétés ! Elle en est l'œuvre, l'expression aboutie.

Le Chapelier n'était-il pas lui-même l'un des fondateurs du "Club Breton", puis le premier président de la "Société des Amis de la Constitution", qui allait ensuite devenir le fameux "Club des Jacobins" ? Clubs et sociétés de pensée ont détruit les associations, mais légitimé les sociétés… avant de s'envoyer mutuellement à la guillotine.

Quant au Mad Hatter, littéralement le Chapelier Fou, tous les amateurs d'Alice au Pays des Merveilles le connaissent. C'est aussi le nom de l'un des hôtels londoniens où j'ai l'habitude de descendre. Cet hôtel est la propriété de la brasserie Fuller's, de Chiswick ; or je suis un des rares "overseas members" du club des amis de cette brasserie, ce qui me vaut de bénéficier de tarifs préférentiels pour ma chambre. Croyez bien que je ne manquerai pas, amis lecteurs, de boire à votre santé quelques pintes de "London Pride" lors de mon prochain voyage sur les bords de la Tamise.

Mais revenons a l'autre Chapelier, plus précisément à Isaac René Guy Le Chapelier, l'homme qui donna son nom à la fameuse loi du 14 Juin 1791 stipulant qu'aucune expression d'intérêts particuliers ne doit pouvoir s'interposer entre le citoyen et la volonté générale.

Isaac n'était pas chapelier, mais avocat. Et fou, l'était-il ? On ne l'a jamais dit, mais il devait l'être suffisamment pour s'enfuir en Angleterre et surtout pour en revenir, apprenant que ses biens allaient être confisqués. Robespierre le fit de suite arrêter et guillotiner. C'était le 22 Avril 1794, dans la même fournée que Malesherbes.

S'il était resté à Londres à boire des pintes de bonne bière, il en aurait réchappé et aurait pu écrire ses Mémoires. Lesquelles nous manquent cruellement aujourd'hui, car j'ai l'impression que nous savons en fait peu de choses sur la loi Le Chapelier.

Cette loi fut précédée et en quelque sorte préparée, les 2 et 17 Mars 1791, par les décrets d'Allarde, du nom de Pierre Gilbert Leroi, baron d'Allarde, Maître de forges et député de Saint Pierre Le Moutier, bourgade nivernaise qui changea de nom sous la Terreur pour s'appeler pendant quelques mois "Brutus le Magnanime". Voici un nom digne de l'imagination de nos modernes communiqueux des conseils généraux ! Mais on ne sait pas si d'Allarde y fut pour quelque chose. Il aurait été par la suite directeur de l'octroi de Paris, puis capitaine au régiment des chasseurs de Franche Comté, et serait mort à Besançon en 1809. Je n'ai trouvé aucun autre élément de sa biographie. Gallica ne nous propose sous sa plume que deux projets de lois, l'un sur les assignats, l'autre sur la taxation du tabac.

Ni Le Chapelier, ni d'Allarde n'ont donc, apparemment, disserté sur leur œuvre législative et ses effets. Mais il me semble que nul ne le fit, du moins parmi leurs contemporains, puis tout au long des deux premiers tiers du dix-neuvième siècle. Alors qu'à l'inverse, on trouve de nombreuses références aux débats antérieurs, la première tentative de suppression des jurandes et des corporations par Turgot, leur rétablissement par Necker, les arguments de l'une et l'autre thèse ; si bien qu'en 1791, les constituants connaissaient fort bien le dossier, pas seulement parce qu'ils étaient imprégnés des idées de Rousseau, mais surtout parce qu'on en avait beaucoup parlé au cours de la préparation des États Généraux.

Analysées avec nos yeux d'aujourd'hui, en assumant les risques délétères de tout anachronisme incontrôlé, les lois d'Allarde et Le Chapelier ne concernent que très accessoirement les associations. Ce sont avant tout des lois qui favorisent le libéralisme économique dans son expression la plus sauvage, en supprimant toutes les entraves à la concurrence.

Toute entente entre salariés, toute grève est interdite ; le recours à des travailleurs étrangers moins exigeants en termes de salaire est encouragé. Toute entente entre patrons et salariés sur les salaires, les conditions de travail ou la protection sociale est interdite. Enfin, toute entente entre patrons ou artisans d'un même métier est également interdite : les professions doivent être ouvertes et chacun doit pouvoir librement s'établir. Même le sanguinaire Marat s'en offusquera ; médecin lui-même, il imaginait mal que n'importe qui, sans le moindre diplôme, puisse s'établir médecin.

Les lois d'Allarde et Le Chapelier sont donc des lois de liberté extrême, au sens où elles fondent le droit du renard libre à s'établir et à faire commerce dans le poulailler libre. On les a présentées aussi comme l'expression politique des intérêts de la classe des "sans culottes supérieurs", c'est-à-dire des entrepreneurs et gros artisans des faubourgs, contre ceux de la classe des "sans culottes inférieurs", salariés des premiers, et désormais privés de la protection que leur garantissaient naguère les lois de l'Ancien Régime.

Turgot et ses continuateurs dénonçaient le caractère sclérosé des corporations. L'abolition des privilèges, dans la nuit du 4 Août, signifiait certes leur défaite, leur fin prochaine ; mais le balancier s'en alla à l'extrême opposé, fondant en droit la loi d'airain du "capital sans frein". On se serait donc attendu à ce que le curseur soit ensuite remis au centre, soit par les Thermidoriens, soit un peu plus tard par Bonaparte, au moins par la Restauration. Or il n'en a semble-t-il rien été. On a coutume de situer l'abrogation de la loi Le Chapelier au 25 Mai 1864, lorsque la loi Olivier met fin au délit de coalition et instaure le droit de grève.

Comment imaginer que tant de régimes différents aient, trois quarts de siècle durant, conservé et appliqué telles quelles ces lois absurdes ? D'autant que les associations n'ont, pendant cette période, jamais cessé de se développer. Avec des difficultés, certes ; elles ont toujours eu besoin d'autorisations administratives, et certaines ont été l'objet d'attentions suivies de la part de la police. Mais il en est de même aujourd'hui ! Nous avons des lois anti-terroristes, comme il y en avait alors. Ce n'est pas Blanqui qu'il faut prendre comme référence. Ce n'est pas le bosquet des associations nommément constituées pour renverser le pouvoir qui doit cacher la forêt de celles qui ont inlassablement œuvré pour l'entraide, la solidarité, l'éducation ou la tempérance.

Le cynisme n'est pas à exclure. Un ministre de Louis XVIII à qui on demandait pourquoi il avait conservé les préfets et les départements, héritage s'il en est de la Révolution, répondit qu'il ne voulait pas s'en priver, car c'était si pratique pour gouverner. On peut donc penser que les lois d'Allarde et Le Chapelier ont été en quelque sorte gardées en réserve, pour justifier une répression dès lors que cela s'avérerait nécessaire. Mais c'est un peu court. On en aurait au moins parlé, on les aurait régulièrement citées. J'ai plutôt l'impression que ces lois ont été oubliées, ensevelies sous l'amoncellement des textes, confondues dans la poussière du passé avec les corporations qu'elles avaient fait mourir.

Je poursuis dans mon scénario, qui n'est je le répète qu'une succession d'hypothèses rapides et réductrices. Nous sommes maintenant cent ans après la Révolution, cinquante ans après le chemin de fer. La société, la technologie sont bouleversées de fond en comble. La droite catholique, qui avait été à l'origine de la grande majorité des innovations sociales au cours du siècle, que ce soit dans la production, l'entraide, la consommation, le crédit ou la protection sociale, a peu à peu perdu pied. Elle n'a plus d'expression politique, et a cédé le devant de la scène à la bourgeoisie libérale et au mouvement ouvrier. Arrive Léon XIII, qui tente de reprendre l'initiative. Il impose le Ralliement, et cherche à forger un corpus de doctrine sociale qui permette à l'Église, sur le plan des idées et de l'influence, de reconquérir le terrain perdu.

Il échouera, pour quantités de raisons sur lesquelles il sera intéressant de revenir, la plus déterminante étant qu'au cours de l'affaire Dreyfus, de nombreuses idées et non des moindres passent avec armes et bagages de gauche à droite ou l'inverse, et qu'il n'y a plus après de place pour une majorité qui serait à la fois catholique, rurale, conservatrice, sociale, internationaliste et ralliée au régime républicain (un vrai mouton à cinq pattes !).

Cependant, entre temps, la doctrine s'est tant bien que mal construite. Quelqu'un, je ne sais qui ni comment, a eu l'idée de refonder le concept de corporation. La Tour du Pin, qui passe pour en être le principal théoricien, l'emploie dans un de ses premiers articles publiés par la revue L'Association Catholique en août 1883, et en fait remonter la paternité à Albert de Mun, huit ans auparavant.

Il n'y a plus alors aucun souvenir direct des vieilles corporations, la place est libre pour fonder un mythe, celui d'anciennes solidarités protectrices et bienveillantes, dont la destruction a provoqué la misère ouvrière. En fait La Tour du Pin n'est pas dupe ; il propose une construction entièrement moderne, mais il la pare des couleurs de la nostalgie d'un bonheur perdu. Et perdu par la faute de qui ?

Eh bien, justement, par la faute de la loi Le Chapelier ! Voici donc mon hypothèse : La Tour du Pin lui-même, ou l'un de ses prédécesseurs féru d'Histoire, exhume la loi Le Chapelier et en fait un bouc émissaire doublement bien venu. D'abord parce que c'est une loi libérale, ce qui lui donne des arguments pour attaquer le capitalisme. Ensuite parce que c'est une loi révolutionnaire, ce qui lui permet d'attaquer les socialistes qui se proclament fils de la Grande Révolution. Le coup était habile.

Le "régime corporatif" théorisé par La Tour du Pin, qui utilise d'ailleurs souvent aussi les mots "économie sociale", pouvait-il fournir une réponse aux problèmes nés des grandes concentrations industrielles, alors qu'il semble entièrement fondé sur des solidarités de proximité ? Après 1900, la question n'a plus qu'un intérêt spéculatif, bien que l'on puisse déceler aujourd'hui la postérité de la doctrine de La Tour du Pin dans le Crédit Mutuel, les institutions paritaires ou l'organisation de l'agriculture française d'avant la PAC et du temps de la préférence communautaire.

Mais il sera resté au moins un survivant de l'aventure : la loi Le Chapelier. Au point que la gauche socialiste le récupérera très vite à son compte, mettant cette loi au compte des erreurs de la Révolution, mais s'arrogeant le mérite de l'avoir corrigée et d'avoir ouvert à marche forcée le chemin inverse, par la loi sur les syndicats, puis celle sur les associations – terme qui, comme on l'a vu, avait entre temps totalement changé de sens.

Et cependant, ce "Mad Hatter" n'aurait été, quatre vingt ans durant, qu'un fantôme. Toute pièce permettant d'infirmer ou de confirmer ce scénario m'intéresse au plus haut point !

06 mai 2006

Une nouvelle branche dans la grande famille coopérative ?

Le grand quotidien madrilène "El Pais", dans son édition du 5 Mai 2006, titre sur les coopératives en première page ; il paraît que c'est la première fois que cela se produit. Mais il ne s'agit pas de coopératives banales ; l'annonce concerne une activité économique que les pionniers de Rochdale n'avaient sans doute pas pensé à mettre dans leur catalogue de services, à savoir la prostitution.

Fourier certes avait abondamment traité du sujet. La sexualité tenait une grande place dans le règlement de son Phalanstère. Mais je n'ai jamais considéré, au rebours de Gide et de Desroche, que Fourier soit en quoi que ce soit l'un des inspirateurs de l'Économie Sociale actuelle. D'ailleurs, s'il vivait de nos jours, ses publications l'auraient depuis longtemps envoyé en cabane pour pédophilie.

Il est difficile de parler d'innovation sociale, dès lors que le métier concerné est paraît-il le plus vieux du monde. Quoi qu'il en soit, le débat est ouvert. L'initiative vient de la Généralité de Catalogne, où un projet de loi légalisant et encadrant la prostitution a été rendu public. En soi, cela n'a rien d'original ; des mesures en ce sens ont été proposées, quelquefois adoptées, en maints lieux, et y ont suscité des polémiques que l'on retrouve partout en termes semblables.

Si innovation il y a, c'est que les Catalans, suivant là leur forte tradition anarchiste et coopérative, n'envisagent de légalisation que dans un cadre d'Économie Sociale et de petite taille, toute autre forme restant interdite. D'après Montserrat Tura, la "ministre de l'Intérieur" socialiste de la Généralité, la coopérative de production dans des locaux fermés est le seul système qui permette aux travailleuses du sexe de bénéficier des dispositions protectrices du droit du travail et d'échapper au proxénétisme, grâce à la propriété collective des locaux et à la responsabilité partagée de la gestion.

Le projet limite le nombre de sociétaires (ou de chambres, je n'ai pas très bien compris) à 12, leurs horaires de travail à huit heures par jour sur six jours, et exige pour l'exercice de leur profession un âge minimum de 21 ans. Toutes les catégories de locaux où peut s'exercer la prostitution sont concernées : les bars, les boutiques, les salles de projection ou de spectacles érotiques, les salons de massage et les motels. Ces lieux de plaisir devront être situés à plus de 250 mètres de l'établissement scolaire le plus proche. Des mesures spéciales sont envisagées pour aider les prostituées qui veulent quitter le métier. Enfin, un délai d'un an serait accordé à la prostitution de trottoir pour faire place, quartier par quartier, aux bordels coopératifs.

La prostitution de rue ou de bord de route n'est pas la seule formule que le projet de coopérative entend éradiquer ; les "macrobordels" (terme utilisé par le législateur catalan) à la mode allemande sont également visés. Ainsi, l'autorisation d'exploiter une usine à sexe actuellement en construction à la frontière française (558 chambres) serait remise en question.

Les premières réactions de Madrid donnent l'impression de venir de Paris : discours convenu sur des "pratiques dégradantes pour la dignité de la femme" et agacement mal dissimulé face aux agissements autonomes de la Catalogne. Moi qui croyais qu'il n'y avait plus qu'en France que ce débat était sous l'éteignoir, je m'aperçois qu'il y a des jacobins coincés partout.

Il faut en effet aller au-delà des plaisanteries grivoises et du conformisme facile. Il fut un temps où la polémique entre les partisans de l'abolition et ceux de l'autorisation sous contrôle, avec ses prolongements tant moraux que sanitaires, faisait rage dans notre pays. Il y a dans les bibliothèques des rayonnages entiers d'ouvrages qui ont été consacrés à cette question – sans doute autant que sur l'absinthe. Depuis 1946 et la fermeture des "maisons" nous vivons dans un consensus mou : prostitution de rue tolérée, lieux fermés interdits, proxénétisme pourchassé, accord général pour considérer que notre système est le meilleur du monde, qu'il n'y a plus lieu de le remettre en cause, et que laisser seulement entendre qu'il puisse évoluer est inconvenant.

Or il faut être de bien mauvaise foi pour affirmer que les problèmes du passé sont loin derrière nous et que la dignité de la personne humaine est désormais assurée ! De nombreuses villes étrangères se sont hérissées de mégabordels, le tourisme sexuel et parfois pédophile est à la portée de tous, et la liberté commerciale des produits du sexe n'a pas réduit, mais a au contraire encouragé la traite des êtres humains. La facilité des migrations a fait le reste ; après les ghanéennes et les albanaises, voici les chinoises, et notre beau système ne fonctionne qu'à l'avantage de l'économie mafieuse. Le statu quo est peut-être bien la pire et en tous cas la plus hypocrite des solutions.

Nous n'avions comme références alternatives que les mégabordels hanséatiques ou l'évocation nostalgique des fastes des maisons bourgeoises d'antan – pas les sordides et glauques clandés pour biffins, mais le confort raffiné des lupanars les plus huppés, là où selon la légende se croisaient les plus hauts représentants de la finance, du clergé et de l'armée… Voici que les Catalans nous proposent à leur tour leur recette, coopérative et autogérée, peut-être un peu trop belle pour être vraie… Irma la douce devenant Irma la douce sociétaire, et la mère maquerelle devenant présidente élue, tout cela va bien pour une comédie musicale, mais quelle en serait la viabilité ?

Attendons de voir ! Si ça marchait, ne serait-ce que partiellement, quel coup de pub pour l'idée coopérative ! Encore faudrait-il que les autres branches de la grande famille de l'économie sociale acceptent les fédérations de prostituées dans leurs congrès… ce sera un spectacle à ne pas manquer.

02 mai 2006

Galerie marcophile coopérative

J'avais, en Décembre 2005, évoqué dans ce même blog tout l'intérêt que je porte à l'histoire postale de l'économie sociale. Divers correspondants m'ont demandé des précisions : de quoi s'agit-il ? de quels objets ? de cartes postales, peut-être ?

Des cartes postales on peut passer aux jetons, ou aux carnets sur lesquels les sociétaires des coopératives de consommation collaient leurs points au fur et à mesure de leurs achats. Tout ceci ne manque pas de charme, mais cela relève de l'érinnophilie, non de la marcophilie. Que voilà, n'est-ce pas, des mots savants qui en mettent plein la vue ?

Voici donc quelques explications. L'histoire postale englobe l'étude de tous les objets qui ont circulé par la poste ; la marcophilie en est une branche, qui traite des oblitérations. Mais ces définitions ne sont pas labellisées, et connaissent de fréquentes extensions. Par exemple, des objets qui n'ont pas circulé, mais qui étaient conçus pour le faire, rentrent dans le champ s'ils présentent des caractères distinctifs particuliers.

Ainsi de cet "entier postal" réalisé sur commande pour les grands magasins coopératifs Army & Navy. Le type de l'effigie de la reine Victoria nous apprend qu'il a été imprimé en 1897 ou 1898. C'est un bon de commande préalablement affranchi (nous le voyons au verso), prêt à être mis à la boîte après avoir été rempli.

Les trois colonnes de droite sont réservées aux prix, en livres, shillings et pence ; et on remarquera l'aronbas en tête de la troisième colonne, ce qui prouve si besoin était que ce signe n'a pas attendu nos adresses Internet pour exister ! Vraisemblablement, la colonne correspondante devait recevoir les références des articles, leur numéro au catalogue. Chez les typographes, le @ (aronbas signifiant "A rond bas de casse") se disait "ad", en bon latin, véhiculant une idée de destination, de mouvement : on va chercher la référence de cet article "ad" tel ou tel numéro du catalogue.


Plus près de nous, voici une grande enveloppe, de 275 millimètres sur 180, utilisée par le Magasin de Gros pour expédier ses prix courants.
Le timbre est perforé des trois lettres MDG ; cette pratique était en usage dans diverses entreprises, pour éviter les vols de timbres. L'oblitération est du 19 Juin 1925 ; le tarif est celui des imprimés urgents de 50 à 100 grammes. Le Magasin de Gros a certainement expédié des quantités énormes de ces enveloppes… dont il ne reste sans doute pas beaucoup de survivantes. Si vous en trouvez dans votre grenier, dans une brocante ou dans les archives de la coopérative dont vos grands parents étaient sociétaires, faîtes moi une offre, je saurais me montrer généreux…

Encore plus près de nous, voici deux pièces des années 50, à mon sens la période où les cartes, lettres et timbres sont les plus agréables à l'œil.
La première est une déclaration bimensuelle de stocks de céréales ; le timbre qui représente une léproserie en AEF est oblitéré par une flamme "concordante" : mangez du pain, vous vivrez bien.
La seconde est une enveloppe, avec également un timbre philatélique (c'est à dire qui n'est pas une Marianne) ; cette fois c'est l'électrification de la ligne de Valenciennes à Thionville, symbole du charbon et du minerai de fer français.
Nous faisons là un double plongeon dans des industries aujourd'hui disparues, puisque la flamme nous apprend aussi que Besançon est la "capitale de la montre française". Le tarif est à 12 francs : c'est celui des factures sous enveloppe, au même prix que les cartes postales (la lettre ordinaire était alors à 15 francs). Dans les deux cas, l'en tête coopérative nous fait revivre le monde de l'agriculture franc-comtoise ; les documents sont nets, colorés, vraiment très plaisants.

Voici donc quelques joyaux de ma petite collection d'histoire postale coopérative, qui ne demande qu'à s'agrandir !