Economie Sociale

Coopératives, Mutuelles, Associations, Fondations : Histoire, Statistiques, Gouvernance, Prospective...
Le Blog de l'Economie Sociale sans complexes !

24 septembre 2006

Roulez SCOP !

Nos SCOP se lanceraient-elles dans la distribution d'un carburant alternatif, exempt de toute pollution, solidaire et coopératif ? Pas encore, mais pourquoi pas ? Car il n'y a pas que le carburant pour les moteurs à explosion, il y aussi celui qui alimente nos volontés, notre engagement, notre capacité à incarner dans des réalisations concrètes et viables notre soif d'idéal et d'harmonie sociale. Et comme l'on aimerait que l'idée coopérative fasse toujours mieux connaître sa capacité à réunir, dans une synthèse tangible et opératoire, le rêve et la réalité ! Alors, roulez SCOP !

En attendant, "Roulez SCOP" qui s'écrit RULESCOOP est un acronyme qui se développe en langue espagnole et qui signifie "Réseau d'Universités Latines pour l'Économie Sociale et COOPérative". Ce Réseau bien qu'ayant de fait commencé à fonctionner en 1998, a tenu son premier colloque du 22 au 24 Mai 2006, à Brest (Université de Bretagne Occidentale, en abrégé UBO).

L'UBO est la seule université française participant à RULESCOOP ; elle y côtoie l'une des universités de Rome, trois universités espagnoles dont en première ligne celle de Valence, et un grand nombre d'universités d'Amérique Latine, de divers pays, dont beaucoup avaient envoyé une délégation à Brest.

Pourquoi RULESCOOP est-il représenté en France par Brest ? Sans doute était-ce à l'origine purement fortuit ; le fait que le maître des cérémonies, Jorge Muñoz, y enseigne et soit parfaitement bilingue suffit à l'expliquer. Pendant trois jours, dans les couloirs de l'Institut d'Administration des Entreprises, l'espagnol a été plus parlé que le breton.

Mais il n'y a pas que cela. Si l'Économie Sociale a trouvé à l'Université de Brest un point d'ancrage privilégié, c'est que la Bretagne est une des terres d'élection de la coopération agricole, et par voie de conséquence de la coopération de crédit. C'est là un fait d'histoire et de sociologie, lui-même assis sur une profonde tradition de dévouement d'inspiration catholique qui a conduit les gros bataillons des militants de la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) à se reconvertir dans l'animation des coopératives. Ce sur quoi revenait avec insistance le président de la caisse régionale de Crédit Agricole : "Les anciens comprenaient tout d'emblée, par intuition. Mais les jeunes, il faut leur expliquer, leur donner envie, leur transmettre notre credo coopératif…"

Les deux puissances tutélaires, Crédit Agricole et Crédit Mutuel, s'étaient en quelque sorte partagé le parrainage du colloque qui, grâce à leur générosité, aura laissé à chacun des participants un souvenir impérissable fait de cidre et de fruits de mer.

Jean Le Vourc'h, le président précité, n'était pas le moins emphatique, le moins charismatique ! Successeur du célèbre Alexis Gourvennec à la tête de la coopérative laitière EVEN, il évoque avec autant de fougue que de conviction la mission de l'élu coopérateur : "Si la mutualisme n'est qu'un statut, alors c'est une charge, et on ne cherchera qu'à l'alléger. Mais si c'est un engagement, alors cela devient une valeur ajoutée, un supplément d'énergie et d'enthousiasme qui profite à toute l'entreprise". Ou encore : "Dans une entreprise classique, vous n'arriverez jamais à motiver le salarié en lui parlant des exigences de l'actionnaire ! Leurs intérêts sont trop divergents. En revanche, dans une coopérative, vous pouvez lui parler du long terme, du territoire. Le sociétaire n'a pas de plus value à espérer. Il a des intérêts très proches de ceux du salarié".

Gardons-nous de trop enjoliver, bien sur. Il n'en demeure pas moins que cela fait toujours plaisir à entendre. Car par ailleurs le colloque fut très dense et souvent de grande qualité. Les textes des communications étant tous accessibles en intégralité, soit sous les cerisiers toulousains, soit sur le site du réseau RULESCOOP au Chili, je n'en parlerai pas plus avant.

J'ai surtout apprécié la richesse et la diversité des communications de nos collègues latino-américains, dont l'apport à la connaissance de l'Économie Sociale devrait être mieux perçu ! Ils nous ont décrit des situations analogues aux premières années de Mondragon, là où des États trop pauvres ou trop lointains ne peuvent intervenir, et où seule parvient à soulever des montagnes l'action solidaire de "filles et fils de la misère et de la nécessité", conduits par le charisme et la détermination d'un ou de plusieurs capitaines d'aventures.

Les Québecois, nombreux comme à l'accoutumée, n'étaient cependant pas les seuls francophones visibles. S'il y avait, parmi les Français de l'intérieur, de nombreux amis de longue date, j'y ai aussi rencontré quantité d'inconnus (du moins de moi et jusqu'à cette date !), souvent auteurs de travaux de plus grand intérêt. C'est la première fois que je sens un tel foisonnement de contributions, venant d'un peu partout et portant explicitement sur l'Économie Sociale (et non, comme je l'avais souvent vu, sur des thèmes plus ou moins connexes, productions recalées qui n'avaient pas trouvé asile dans des colloques plus "nobles"…)

Voilà qui est très encourageant. L'Économie Sociale française souffre de façon chronique de ne pouvoir s'incarner dans des ensembles moteurs suffisamment forts. Sa représentation politique, intermittente et mal assurée, n'a jamais eu les moyens de la tirer en avant. Son inexistence statistique constitue, nous l'avons assez souligné et martelé, un handicap majeur. Il ne lui reste que sa représentation institutionnelle, CNLAMCA devenu CEGES, et les diverses organisations qui la constituent, mais qui ont besoin de partenaires à leur mesure pour avancer.

La nature ayant horreur du vide, ce vide a été en partie comblé, surtout en direction du monde associatif, par diverses officines privées dont l'excellence n'est pas clairement avérée – tant s'en faut !

Il est donc heureux que l'Université vienne, de façon significative, occuper le champ de l'Économie Sociale. Elle n'y était jusqu'à présent active qu'au travers de quelques arbres, toujours les mêmes, cachant une épaisse forêt d'indifférence. L'Espagne et le Québec nous ont montré la voie en cette matière ; il reste du chemin à parcourir, le mouvement est lancé, poursuivons-le !

Le prochain colloque du réseau RULESCOOP doit se tenir au Costa Rica. Destination inhabituelle et alléchante ! D'ici là, je m'efforcerai pour ma part de susciter, au sein de ce vaste réseau certes partiellement européen et québecois, mais surtout latino-américain, un courant d'intérêt pour la statistique et bien sur pour le compte satellite de l'Économie Sociale.