S, ou SS ?
Je n'aime pas entendre, et encore moins lire, les mots "économie solidaire".
Je considère que cette expression n'ajoute rien à celle d'économie sociale, et que son emploi, surtout s'il est systématique, ne peut provoquer que confusion et malentendus. Pis encore : il me semble y distinguer comme un mauvais coup, quelque chose de déloyal. Et en outre doublé d'un magistral contresens.
Déloyal ? Parfaitement. Les auteurs de ce néologisme, qui ne s'imposait nullement, n'ont agi que par volonté de s'approprier un champ qu'ils jugeaient à leur portée. Ils n'avaient d'autre mobile que le pouvoir, la domination - enjeux bien dérisoires quand on sait ce que représente l'économie sociale et ses marges immédiates, tant dans le monde académique que dans le système politico-administratif. Et ils ont consacré davantage d'énergie à calomnier et à brocarder les vieilles institutions de l'économie sociale qu'à démontrer que leur concept d'économie solidaire pouvait avoir un sens.
Certes, me dira-t-on, certes. Mais vous exagérez beaucoup, même si ce que vous dîtes est un peu vrai. Tout cela, c'est du passé ! L'économie sociale n'a pas été atteinte par ces attaques. Elle a même tendu la main. N'avons nous pas affirmé qu'après tout, l'économie solidaire, ce n'est rien d'autre que l'économie sociale émergente, celle de demain ? C'est la jeunesse de l'économie sociale, et les jeunes sont toujours turbulents, mais jeunesse se passe ! Et je vous rappelle qu'il y a eu un Secrétariat d'Etat à l'économie solidaire, nous n'y pouvons rien. C'est désormais un terme officiel. Il faut bien l'accepter et faire avec. C'est pourquoi nous utilisons de plus en plus l'expression mixte "économie sociale et solidaire"... voilà qui est bien trouvé, non ? comme cela nous mettons tout le monde d'accord. Nous sommes pour le consensus. L'affaire est close. L'économie solidaire est nôtre !
Alors, vive l'économie solidaire et sociale, sociolidaire, solidariciale ?
Eh bien non ! Cela ne me convainc pas du tout. Je n'aime pas plus l'économie sociale et solidaire que l'économie solidaire tout court. Et pas seulement parce que cela entretient les ferments de la dissidence et de l'incompréhension. Pas seulement parce que nous en devenons encore moins visibles, encore moins crédibles, auprès de nos voisins allemands, britanniques ou des PECOs. Mais aussi parce que, sémantiquement, c'est une absurdité.
Comprenons-nous : je ne défends pas dans l'absolu les mots "économie sociale". Ceux-ci ne constituent qu'un pis-aller, le compromis le moins mauvais qu'on ait pu trouver, le plus ancien et le mieux établi également, celui autour duquel tant d'efforts ont déjà été consentis qu'il serait absurde de repartir à zéro. "Economie sociétariale", imprononçable certes, serait plus juste, par opposition à ce que serait l'économie "actionnariale". Car ce qui fait l'économie sociale, c'est le sociétariat.
Or le sociétariat est par définition solidaire. Le caractère solidaire est au sociétariat ce que la vodka est à la Russie : sa substance même. Parler d'économie solidaire par opposition, ou en complément, à l'économie sociale, c'est laisser entendre que l'économie sociale ne serait pas, ou pas assez, solidaire, ce qui est absurde ; et c'est prétendre à l'exclusivité, au monopole de la solidarité, alors que celle-ci est omniprésente. On la trouve partout, dans l'économie lucrative, dans l'économie publique et hors de toute économie.
Absurde, donc, et ridicule. Non, décidément, il est urgent de tordre le coup à ce vilain canard. Quant on met deux S en fin d'un acronyme, cela sonne comme graisse, crasse, ou poisse. Au contraire, avec l'économie sociale, avec un seul S, sachons nous montrer sveltes, propres, et chanceux !
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