Comme au bon vieux temps...
Comment s'adapter tout en conservant ses valeurs ? comment évoluer sans perdre son âme ?
Depuis des années, et à force ces années sont devenues des lustres, ce thème est devenu une tarte à la crème dans les colloques et autres lieux où l'on parle d'Économie Sociale. Tout est montré du doigt : banalisation, globalisation, pression de la concurrence… tous les maux, et même, plus trivialement, tous les mots de notre époque semblent s'être coalisés pour menacer, pour porter atteinte à l'identité, à la pureté originelle de l'Économie Sociale.
Or voici ce que je viens de lire dans un dialogue entre deux internautes qui me comptent dans leur liste de diffusion. Ce sont tous deux de très abondants producteurs de messages sur les sujets les plus divers, mais j'ignorais leur attachement aux vertus du sociétariat :
...Depuis un demi-siècle j'ai deux comptes : un aux chèques postaux et un au Crédit Mutuel des enseignants. Je vais autant que possible, c'est à dire deux fois sur trois, aux assemblées générales annuelles… Elles ne sont fréquentées que par quelques pour cent des mutualistes, et sont passées d'une après-midi pleine à une simple fin d'après-midi… Cette année le discours présidentiel ne commençait plus par "Chers mutualistes…" mais par "Chers Clients"…
…A la MAIF on est passé d'une gestion bénévole (je me souviens d'un vieil instituteur de Lingolsheim qui faisait ça dans des boîtes à chaussures) à une gestion "entrepreneuriale" avec des "employés professionnels"… bientôt si ça continue nos mutuelles seront opéables et opéées… Mais les sociétés ont peut-être des saisons… et à l'hiver social succédera un nouveau printemps…
Nostalgie, nostalgie… Comme en toutes choses, l'herbe était jadis plus verte, les gens plus francs et plus chaleureux, les soirées au coin du feu plus joyeuses, et la soupe qui ne contenait aucun colorant était faite avec des légumes bien de chez nous. Cependant il est clair que nos amis sont dans le vrai. La raison d'être, la légitimité de l'Économie Sociale, c'est la vitalité de son sociétariat, et non son professionnalisme. Si on oppose l'un à l'autre, on va dans le mur. Si au contraire on met le professionnalisme au service du sociétariat, si on le considère comme un moyen et non une fin en soi, l'Économie Sociale garde toute sa pertinence.
La pression à la banalisation n'est pas seulement la résultante d'évolutions technologiques et de la contagion d'idées managériales d'inspiration libérale ; le chômage a joué, à mon sens, un rôle prépondérant. Notre instituteur alsacien aurait très bien pu, techniquement, continuer à gérer les contrats de ses collègues. Mais devant ses anciens élèves, devenus Bac+4, éventuellement titulaires d'un diplôme de gestion des entreprises d'Économie Sociale, la chose serait devenue socialement impossible. L'intérêt général commandait en quelque sorte aux bénévoles de laisser la place aux techniciens salariés.
Le balancier est sans doute allé trop loin. Des pans entiers de l'Économie Sociale ont été réduits au rôle de relais passifs des politiques publiques de création d'emplois aidés. Dans les clubs sportifs, les cantines, les centres de loisirs, les jeunes diplômés ont chassé les animateurs bénévoles, aidés en cela par la multiplication des normes et des contraintes de sécurité.
Tout cela était sans doute nécessaire, inévitable. Mais comme le note avec lucidité notre ami ancien enseignant, la roue tournera. Le besoin collectif de sociétariat deviendra aussi fort, aussi impératif, que celui de ne pas laisser trop de jeunes au chômage, et, après l'hiver social, nous verrons revenir un nouveau printemps. Merci pour cette belle formule : c'est là toute notre raison de croire que l'Économie Sociale a encore et toujours un bel avenir devant elle.
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