Et maintenant camarades, boursicotons !
Nous venons d'apprendre la création d'un "Institut pour l'Éducation Financière du Public". Qu'est ce que ce nouveau "machin" qui apparemment ne dispose pas encore d'acronyme attitré ? Le service de communication de l'AMF (Autorité des Marchés Financiers) se fait un plaisir de nous dévoiler ses futures missions, dans un communiqué de presse daté du 27 Avril : des études confiées à la SOFRES ayant montré que les Français sont des ignares, puisqu'ils ne savent même pas comment fonctionnent les marchés financiers, il était urgent de créer cet Institut afin de leur apprendre à boursicoter.
En soi, c'est déjà assez renversant. Alors que toutes les banques suppriment des guichetiers par pleines charrettes pour multiplier à qui mieux mieux les postes de "conseillers financiers", alors qu'à chaque introduction elles inondent leurs clients d'annonces, de notices et de prospectus, alors que les kiosques regorgent de magazines financiers de tous niveaux, alors que les émissions spécialisées se succèdent sur toutes les radios et télévisions, alors qu'il y a presque autant de sites Internet de Bourse que de sites pornos, le public ne serait pas assez informé, et il faudrait enfin s'occuper de le renseigner ! Qu'est-ce donc que cette blague ?
Et pourquoi faudrait-il créer à cette fin un comité Théodule de plus ? La France ne croule-t-elle déjà bien trop sous le poids de ces organismes budgétivores qui n'ont d'autre fonction de que de distribuer prébendes et postes honorifiques ? Voilà que, d'indignation, je me mets à parler "ultralibéral". Jadis on disait "poujadiste".
Car en lisant plus attentivement le document, on comprend que ce bazar va être financé avec de l'argent public. Sans doute en avons-nous trop ; d'ailleurs, il suffit de faire un tour dans les écoles ou les hôpitaux pour en être convaincu. Alors, jetons-le par les fenêtres, je suis d'accord ; néanmoins je me permettrais deux objections. D'abord, j'aimerais que ce budget soit voté par le Parlement… et non bidouillé à la sauvette, hors LOLF, par des subventions indirectes et un prélèvement (c'est effarant !) sur les amendes prononcées à l'encontre des entreprises convaincues d'ententes. Ensuite, je trouve qu'il s'agit là d'une conception bien extensive, et pour le moins curieuse, de l'intérêt général. A ce compte-là, l'État devrait m'offrir des cours de poker et me former à la pratique assidue des jeux de casino. Le Ministère de l'Agriculture devrait établir des pronostics officiels pour le PMU, et envoyer des escouades de pédagogues hippiques spécialisés dans chaque bar, afin de s'assurer que nul ne remplit sa grille sans être pleinement initié aux subtilités du turf.
Et là où je trouve l'affaire encore plus saumâtre, c'est que le nouvel Institut se flatte d'être une… association. En voilà encore une qui fera un superbe modèle de vie associative, et dont l'appartenance à l'Économie Sociale ne suscitera pas un long débat. La liberté d'adhésion sera, à n'en pas douter, l'une de ses vertus cardinales.
Zélateurs impénitents de la Bourse et du risque, les administrateurs du nouvel Institut ne se seront pas beaucoup mouillés. Ils dépenseront de l'argent public et n'auront aucune responsabilité personnelle dans la gestion. Dame, c'est du non lucratif !
Tout me gène dans cette histoire, tout me paraît mesquin, pitoyable, indécent. Néanmoins je ne sais encore quelle contenance adopter. Faut-il s'en indigner ? ou passer son chemin avec détachement ? Attendons pour voir…
Car la farce ne s'arrête pas là. L'institut s'est en effet choisi un premier Président. Et ce n'est ni un banquier, ni un journaliste financier, ni un pantouflé du MEDEF. C'est un personnage politique, mais ce n'est ni Bernard Tapie, ni Nicolas Miguet, ni Christine Deviers-Joncour. Pourtant tous ceux-là avaient le bon profil. Non ; c'est l'ancien "économiste officiel" du PCF, Philippe Herzog, qui aura donc fait en quarante ans la traversée complète, depuis la planète Marx jusqu'à la station Bourse. Cette nomination en forme de mascarade a certainement un sens, mais lequel ?
Que vous avez de belles actions, Monsieur le Duc ! Des warrants bien marrants, et des produits dérivés bien dégivrés ! Vos actions me laissent sans réaction... Quoi, Herzog, désormais chantre de la boursicotaille ? Je l'imagine, avec le zèle tout neuf du catéchumène, mettre autant d'entrain à encenser le spéculateur qu'il en mettait jadis dans ses péroraisons thoréziennes !
Il y aura au moins une constante dans son attitude ; c'est l'hostilité à l'Économie Sociale. Les coopératives n'étaient hier que des machines patronales chargées d'endormir la conscience de classe des prolétaires, elles ne sont aujourd'hui que des accidents, des aberrations déviantes, dans un monde où la norme indépassable est la cotation en Bourse. Regardons pour s'en convaincre la composition consternante du conseil d'administration de l'Institut : des banquiers, des financiers, des associations d'actionnaires, des libéraux durs ; et la caution sociale, c'est-à-dire le Président, et un syndicat (un seul, vous saurez certainement lequel).
Mais on n'y trouve personne pour représenter la finance solidaire et alternative. Et personne pour suggérer que l'économie ne marche pas toujours qu'avec des actions et des actionnaires. Personne pour suggérer qu'il existe aussi des parts sociales et des certificats coopératifs d'investissement. Cet Institut prétendument chargé de la formation financière du public m'apparaît être avant tout un Institut de propagande… anti-coopérative !
Quand je pense que ce Président, et d'autres membres cooptés à ce Conseil, ont été maintes fois invités à intervenir dans des manifestations d'Économie Sociale ! Ils avaient une aura, une image, "sociales"… il était naturel de penser s'en faire des relais, des alliés. Illusion ! Le libéralisme est bien plus fort que nous. Il peut s'acheter qui il veut, rubis sur l'ongle. Il en a les moyens !
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