Economie Sociale

Coopératives, Mutuelles, Associations, Fondations : Histoire, Statistiques, Gouvernance, Prospective...
Le Blog de l'Economie Sociale sans complexes !

04 mars 2006

Coopératives et dictionnaires

L'histoire des idées et des réalisations de l'Économie Sociale n'est pas seulement à chercher dans les textes des pères fondateurs ou dans les ouvrages spécialisés, mais aussi, et je dirais surtout, dans les ouvrages généraux. C'est là que l'on découvre comment l'Économie Sociale était perçue, comprise, décrite par les véhicules du savoir, à différentes époques. Et quoi de plus général qu'un dictionnaire encyclopédique ? J'entame donc ici une série de citations extraites d'anciens dictionnaires, en étant certain d'avance que leur accumulation progressive s'avérera riche d'enseignements.

A tout seigneur, tout honneur : commençons par la Coopérative, et, puisqu'il faut un début à tout, je me saisis de deux vénérables ouvrages qui m'encombrent depuis la nuit des temps. Ils m'auront au moins servi à cela !

Voici d'abord le "Dictionnaire National, ou Dictionnaire Universel de la Langue Française ; plus exact et plus complet que tous les dictionnaires qui existent, et dans lequel toutes les définitions, toutes les acceptions des mots et les nuances infinies qu'ils ont reçues du bon goût et de l'usage, sont justifiées par plus de quinze cent mille exemples choisis, fidèlement extraits de tous les écrivains, moralistes et poètes, philosophes et historiens, politiques et savants, dont l'autorité est généralement reconnue ; le seul qui présente l'examen critique de tous les dictionnaires les plus estimés, et principalement de l'Académie, de Lavaux, de Boiste et de Napoléon Landais" ; rien que cela !

C'est l'œuvre de Monsieur Bescherelle aîné, bibliothécaire du Louvre, membre de la Société de Statistique Universelle et de la Société Grammaticale. Mon exemplaire est de la seizième édition, chez Garnier Frères, 1877. Eh bien, malgré ses deux tomes comptant respectivement 1330 et 1690 pages, la moisson est réduite à la portion congrue :

Coopératif, coopérative : qui réunit les efforts de tous les intéressés. Se dit du système de communauté des produits du travail inventé par l'Anglais Owen : système coopératif.

Bien maigre ! Et pourquoi spécialement Owen ? Est-ce là tout ce que les grammairiens, poètes, moralistes, savants et tutti quanti avaient à dire sur la coopérative en 1877 ? Sans doute pas, mais notre bibliothécaire du Louvre n'a pas jugé bon d'en mettre davantage. En soi, c'est déjà une information.

Heureusement, le second ouvrage, paru quelques années plus tard, nous éclaire davantage et nous rassure. C'est le "Dictionnaire des dictionnaires ; Lettres, Sciences, Arts, Encyclopédie Universelle" publié sous la direction de Paul Guérin, aux Librairies Imprimeries Réunies, Paris. Il y a six tomes, non datés mais accompagnés d'un supplément paru en 1895.

L'article "Coopérative" se trouve dans le Tome 3 ; compte tenu des citations qu'il contient, je situerais sa date de parution autour de 1885, dix ans avant le supplément, et huit ans après le Bescherelle. Le texte est riche de chiffres et de dates :

Coopératif, Coopérative : adjectif dérivé de coopération. Terme d'Économie Sociale : qui fait concourir les efforts de tous les intéressés à l'amélioration du sort de chacun : système coopératif, société coopérative.

Ce qui est remarquable, c'est que les mots "Économie Sociale" figurent en toutes lettres, et dans le sens que nous entendons leur donner aujourd'hui ! Voilà une belle pioche. Le reste est à chercher à l'article "Coopération" :

Coopération : substantif féminin, du latin cooperationem.
Action de celui qui coopère.
C'est impiété de n'attendre de Dieu nul secours simplement sien et sans nostre coopération (Montaigne)
Terme de théologie : Coopération de la grâce. Action de la grâce qui se joint à la volonté pour l'accomplissement du bien moral.

Terme d'Économie Sociale :
Les sociétés de coopération, ou sociétés coopératives, sont des associations de personnes et de capitaux ayant pour but certains avantages économiques. Les plus simples sont des sociétés de consommation ; ce sont aussi les plus répandues. Des consommateurs se réunissent et s'entendent pour acheter à frais communs des marchandises ; ils s'adressent directement au producteur, qui les leur livre au prix du gros, et la société les revend en détail à ses adhérents, les faisant profiter du bénéfice que le marchand, l'intermédiaire, prélèverait. La plus ancienne de ces sociétés, fondée en 1845 en Angleterre, est celle des Équitables Pionniers de Rochdale. Elle ne comptait au début que 28 membres, et, avec un capital de 4525 francs, elle fit, dès la première année, pour 177.750 francs d'affaires ; or, en 1883, le nombre de ses membres s'élevait à 11.050, le capital à 8.171.875 francs, le chiffre d'affaires à 9.411.400 francs, et le bénéfice réalisé à 1.289.975 francs. Ce succès prodigieux a provoqué la création d'une foule de sociétés analogues ; l'Angleterre, avec l'Irlande et l'Écosse, en possède environ mille deux cent ; l'Army and Navy Cooperative Society Limited fait plus de 500 millions d'affaires. Le principe est se vendre au comptant, sans faire de crédit ; le sociétaire est à la fois actionnaire et consommateur.

En Allemagne, la coopération s'est portée de préférence sur les sociétés de crédit mutuel. Le fondateur de ces banques populaires fut Monsieur Schultze-Delitsch. La cotisation d'entrée est de 1 franc 25 et l'apport mensuel de 25 centimes. On peut y ajouter des dépôts volontaires, comme à une caisse d'épargne, et quand le crédit s'élève à 50 ou 60 francs, on devient actionnaire de la banque. Ces banques se sont multipliées rapidement en Allemagne ; en 1882, on en comptait 1875, et à côté d'elles, des sociétés de consommation, des associations commerciales, industrielles, quelques-unes de construction. Ce mouvement des sociétés coopératives s'est propagé dans tout l'Europe ; en Italie, en Suisse, en Belgique, dans les Etats du Nord, et l'Amérique n'est pas restée en arrière.

En France, toutes les formes de société ont été tentées avec plus ou moins de succès. La révolution de 1848 donna l'éveil aux idées socialistes ; il en sortit des tentatives de sociétés populaires dont une seule survécut et finit par prospérer : c'est l'association des ouvriers lunetiers fondée à Paris par Messieurs Duez et Durié. Elle n'eut d'abord que 13 associés avec apport de 300 francs ; en 1880, elle arrivait au chiffre de 3 millions d'affaires.

En 1863, parut une brochure de Monsieur Beluze, où il réclamait la création d'une banque appliquée aux sociétés coopératives. Elle fut formée aussitôt par souscription au capital de 20.120 francs, sous le titre de "Crédit au Travail" ; en 1866, elle avait 1400 commanditaires et 560.792 francs en fonds de dépôt. Parmi les deux à trois cent sociétés coopératives de consommation qui existent aujourd'hui en France, on peut citer comme modèle celle des forgerons de Commentry, constituée en 1867, et qui est arrivée à un haut degré de prospérité.

Monsieur Auguste Fougerousse est actuellement en France l'un des plus zélés propagateurs des sociétés coopératives de consommation pour lesquelles il a établi une Fédération ayant son siège à Paris.

Bibliographie :
Rouillet : inventaire général des sociétés coopératives, Paris, 1876
Brelay : les sociétés coopératives, Paris, 1884"

Enquête à suivre… et informations à recouper !