Economie Sociale

Coopératives, Mutuelles, Associations, Fondations : Histoire, Statistiques, Gouvernance, Prospective...
Le Blog de l'Economie Sociale sans complexes !

19 avril 2006

Vérité au delà des Pyrénées ?

L'Économie Sociale se dénomme ainsi, cocorico !, parce que ce nom lui a été attribué en France, par un intellectuel français. Cocorico !

C'était, dit-on, en 1975. Je n'en ai toujours pas retrouvé la source exacte, mais je ne désespère pas. Ce qui allait devenir le "CNLAMCA" et qui n'avait pas encore son "A" final, puisque les associations ne s'étaient pas encore jointes aux mutuelles et aux coopératives, se serait alors cherché un nom, et aurait demandé conseil à Henri Desroche. Celui-ci, qui était alors un des rares à connaître l'œuvre de Charles Gide, fit plusieurs propositions, en privilégiant celle d'Économie Sociale… qui allait, sinon faire fortune, du moins connaître un nouveau destin, après plusieurs décennies de sommeil.

C'est en France (cocorico…) que l'Économie Sociale allait être officiellement reconnue. C'est la France (cocorico…) qui allait faire entrer ce concept à Bruxelles ; certains se souviennent de la DG 23, et des "conférences européennes de l'Économie Sociale" dont la première se tint à Paris – et qui n'existent plus.

Et c'est en France, en deçà des Pyrénées, que d'aucuns conservent la certitude d'être restés les pionniers, les meilleurs, les seuls, les vrais, les inventeurs et les propriétaires de l'Économie Sociale. Alors qu'ailleurs, ce ne sont que des imitateurs, assurent nos impénitents franchouillards.

Franchissons donc les Pyrénées. Là bas, on n'a pas attendu pour publier, dès 2004, des Comptes de l'Économie Sociale… Et c'est là bas que Bruxelles est allée chercher des compétences pour rédiger un Manuel des comptes des Coopératives et Mutuelles, que José Luis Monzon nous présentera d'ici quelques mois.

Je me suis rendu à l'Université de Valence fin Janvier dernier, quelques semaines avant le colloque de l'ADDES, pour cadrer avec José Luis l'intervention qu'il y a brillamment faite. J'ai pu y mesurer ce que peut être un pays qui joue réellement la carte de l'Économie Sociale. Et où, certes, nombreux pensent que l'on ne fait pas encore assez… bon, qu'ils viennent donc prendre la mesure de notre misère !

La misère, comme la richesse, ne se jauge pas uniquement en termes de crédits disponibles. Ce n'est pas là l'essentiel. L'essentiel, c'est la reconnaissance, c'est la confiance. C'est d'être, soit considéré comme un acteur social majeur, soit remisé dans la caisse à hochets, parfois amusants à agiter, et parfois encombrants.

J'ai visité la bibliothèque de l'Institut Universitaire d'Économie Sociale et Coopérative (IUDESCOOP), j'ai vu ses deux étages de coursives, ses deux postes de documentaliste, son majestueux catalogue. Elle est principalement tournée vers l'Espagne et le monde latino-américain, mais on y trouve aussi des gisements inépuisables de savoir en anglais et en français. Je reçois régulièrement les mises à jour du catalogue : un pavé impressionnant à chaque livraison.

Et comment fonctionne tout cela ? Presque uniquement par du financement public, car le mouvement coopératif est là bas utilisateur, mais non contributaire.

Cela peut surprendre ; en tous cas on voit mal que ce puisse être un exemple pour nous, avec nos budgets publics sans cesse plus serrés, avec notre tropisme de nouveaux convertis pour le financement privé. Pour comprendre ce paradoxe il faut se référer à l'article 129.2 de la constitution du royaume espagnol. Celui-ci stipule que "les Pouvoirs Publics doivent appuyer l'accès des travailleurs à la propriété des moyens de production et doivent favoriser les coopératives".

Quand je lis cela, ce sont toutes mes lumières intérieures, cierges, chandelles et projecteurs, qui s'illuminent de concert. Tant de belles choses en si peu de mots ! C'est le fil d'Ariane, qu'il me semble avoir toujours voulu tendre, entre la veille question du salariat et de la propriété, et l'entreprise coopérative. C'est ce qu'en France nous n'avons jamais voulu voir. Nous avons toujours, sciemment ou non, enfermé l'Économie Sociale dans le paradigme de l'association subventionnée chargée de relayer et d'appliquer les politiques publiques. Nous n'avons jamais – je dis nous, c'est à dire les autorités de notre pays – envisagé que la Coopérative puisse être autre chose qu'un hochet.

Depuis le début des années 80, le Ministère du Travail espagnol appuie le développement des coopératives, et de ces êtres bizarres que sont là bas les "coopératives de travail", structures à cheval entre autogestion et insertion, qui ont le mauvais goût, pour nos esprits jacobins, d'être autonomes et rentables. Ni ateliers protégés, ni ateliers nationaux, est-ce possible ?

Progressivement, ces soutiens publics ont été régionalisés. La Catalogne est en pointe : sa constitution renchérit sur l'article 129.2 en précisant : "Les Pouvoirs Publics doivent promouvoir les coopératives, les entreprises d'insertion, les "sociétés de travailleurs" et plus généralement l'Économie Sociale". Quel feu d'artifice !

Si l'essentiel des moyens est consacré au soutien du développement des entreprises et à la création d'emplois, il y a toujours une petite ligne pour les études, les publications et les bibliothèques.

Ce qui est frappant, c'est que l'Économie Sociale espagnole est d'abord une Économie Sociale marchande, faite d'entreprises et non d'associations. Presque tout le monde semble partager cette conception : l'humanitaire, le caritatif, le non marchand subventionné, les mouvements militants ne se reconnaissent pas dans l'Économie Sociale, alors qu'en France ils y font la loi.

Et cependant, en France, nous avons des mastodontes coopératifs, dans la Banque, dans l'Assurance, dans la Mutualité, dans l'agriculture. Rien de tel en Espagne : les banques coopératives n'ont qu'une part de marché de 10%, et le navire amiral coopératif Mondragon circonscrit sa générosité au Pays Basque.

Nos Économies Sociales sont si différentes que seuls de bons Comptes Satellites pourront en rendre toutes les nuances, les contrastes et les antinomies. Celui de l'Espagne existe déjà. Il fait état de bilans impressionnants en termes de création d'activités et d'emplois. Le nôtre se fera-t-il encore attendre longtemps ?

Mais aujourd'hui, j'ai quelque peu mal à mon chauvinisme, car je suis bien obligé de penser tout haut : Vérité au delà des Pyrénées, Erreur en deçà !